Présidentielle en Côte d’Ivoire : Soro, le blackboulé joue ses dernières cartes

Article : Présidentielle en Côte d’Ivoire : Soro, le blackboulé joue ses dernières cartes
Crédit:
21 septembre 2020

Présidentielle en Côte d’Ivoire : Soro, le blackboulé joue ses dernières cartes

Exclu du scrutin présidentiel du 31 octobre prochain, Guillaume Soro se considère toujours comme candidat malgré la ferme décision du Conseil constitutionnel. L’ex-chef rebelle et ancien Premier ministre du gouvernement Ouattara, fait des pieds et des mains depuis Paris pour rattraper la course.

Le coup de sifflet est lancé depuis le 14 septembre dernier, par l’annonce de la liste officielle des candidats à cette présidentielle 2020. Quatre joueurs dont le président sortant s’affronteront dans les urnes au grand dam de Guillaume Soro et consorts. Cette décision du conseil constitutionnel n’étonne en rien certains Ivoiriens comme Mamad .T [Nom changé]. Ce chercheur de l’université d’Abidjan, confirme avec aise : « Mais comment voulez-vous qu’un condamné et exilé soit candidat ? Juridiquement Monsieur Soro ne jouissait plus de ses droits civiques et moraux ». Et d’ajouter : « en plus ils sont radiés lui et le président Gbagbo de la liste électorale ».

Mais l’ancien chef rebelle et ex-allié de premières heures d’Alassane Ouattara ne jette pas l’éponge. Il nourrit un espoir inouï de jouer cette compétition, malgré la condamnation et l’exil qu’évoque Mamad .T.

La Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) à la rescousse

Trop exposé à la braise des défenseurs du pouvoir en place, Guillaume Soro, l’homme fort du mouvement Génération et Peuples solidaires (GPs), sort ses jokers et attaque. L’acte 1 émane de la saisine de CADHP. Au lendemain de l’exclusion officielle de l’ancien premier ministre à la présidentielle 2020, l’institution africaine de juridiction a haussé le ton. Elle ordonne, via une ordonnance publiée sur son site internet, « à l’Etat de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de lever immédiatement tous les obstacles empêchant M. Soro de jouir de ses droits d’être élu et d’être élu notamment lors de la présidentielle d’octobre 2020 ».

La rescousse de l’institution d’Arusha risque d’être vaine selon Mamad .T. qui rappelle que « l’État ivoirien a retiré sa déclaration de compétence à la CADHP depuis Avril 2020. Et du coup, ne vous étonnez pas de voir la Côte d’ivoire balayer du revers de la main les décisions de cette cour ». Beaucoup d’autres partagent également cet avis tout en étant plus démonstratif. Sous anonymat et dans un style très laconique un jeune avocat vivant à Abidjan, confie : « la CADHP avait auparavent ordonné vainement de suspendre les procédures judiciaires à l’encontre de Guillaume Soro. Cette cour ne fait apparemment pas peur. »

La faiblesse de la CADHP s’illustre depuis peu sur le continent. L’un de ses derniers échecs est celui face au Bénin dans l’affaire Ajavon, un homme d’affaire et homme politique condamné et exilé en France depuis avril 2019. L’Etat béninois tout comme celui ivoirien ; avait pris ses distances et se désintéresse depuis des décisions de la CADHP. Dans cette posture, le candidat du GPs  pourra-t-il avoir gain de cause ?

Guillaume Soro en quête d’autres cordes à son arc

Sur cette question, l’opinion ivoirienne semble être divisée. D’un côté, des timorés prennent avec réserve ce que les autres de leur côté, catégorisent d’échec de Soro. « Soro n’a pas encore dit son dernier mot. On sait tous de quoi il est capable. Il a encore les atouts d’un meneur de rébellion. Donc faisions attention », explique Jean-Michel, un étudiant en Science politique. Membre de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), il fait partie de ceux qui adulent encore l’ancien dirigeant Soro, en effet à la tête de la FESCI de 1995 à 1998.

En revanche, l’option « coup d’État » est exclu pour Konan, professeur retraité des lycées. Le sexagénaire et féru de politique, dépeint avec rigueur la mauvaise posture de Guillaume Soro, en ces termes : « Depuis la France, le jeune Soro n’a aucune force. Il est affaibli par sa condamnation. Je pouvais encore croire à sa résilience si seulement il était au pays ici. La présidentielle 2020 lui a déjà échappé, sauf en cas de coup de force du destin. »

Pour l’heure, à quelques jours du coup d’envoi, l’ancien président de l’Assemblée Nationale est hors course. Et un peu comme dans un match de football, la CADHP tente de jouer le rôle d’une VAR, bien refoulée par le Gouvernement Ouattara. Bien conscient de sa course contre la montre, Soro lui-même, cherche d’autres cordes à son arc en sollicitant par exemple une mobilisation de l’opposition.

L’appel à l’union de toute l’opposition ne redore pas encore le blason

« Qui veut actuellement se mobiliser pour la cause de Guillaume Soro ?« , se demande Konan avant d’expliquer  que « chacun a mené un combat différent jusqu’ici. Et à mon avis aucun parti politique ne va changer ses objectifs pour son ennemi d’hier ; je veux parler de Soro ». Guillaume Soro ne séduit plus beaucoup aujourd’hui car il est vu comme un renégat. Juste après son éviction du scrutin présidentiel, il a beau avoir ordonné l’union de toute l’opposition contre le 3e mandat d’Alassane Ouattara sans pour autant redorer son blason un peu terni. Et le plus difficile reste l’hésitation de l’opposition à s’affilier avec lui.

Le passé joue parfois contre Soro, et certains n’hésitent pas à le souligner. Dans un entretien que nous accorde Hervé Tiecoura, membre actif de l’Ensemble pour la Démocratie et la Souveraineté (EDS), ce passé resurgit. Le jeune militant étale les faits avec quand-même un bémol : « Le passé de Monsieur Soro n’est pas aussi glorieux que cela. Mais n’oublions pas qu’il a été Ministre d’Etat ; Premier ministre ; Président de l’Assemblée Nationale. Et il a un mouvement qui le soutien aujourd’hui avec des centaines de milliers d’adhérents… Sinon c’est quelqu’un qui compte au sein de la classe politique ivoirienne ».

Contrairement à Konan, Hervé Tiecoura salue cet appel à l’union qui, selon lui est un acte de maintien de la démocratie et non la cause de Guillaume Soro.  « Soro n’est pas une cause et il n’a pas de cause. La cause pour laquelle nous nous mobilisons c’est la Côte d’ivoire », martèle-t-il. Si l’ancien ministre ivoirien de la défense peut se glorifier d’être le lanceur de ce mouvement de mobilisation, il n’est pas question qu’il en devienne son chef. « Ce que demande Soro c’est ce que tous les partis politiques on décidé de faire, mais dire que ce soit lui le chef d’orchestre, non. Je ne pense pas que Henri Konan Bédié et Gnamien Konan accepteront d’avoir pour chef de fil Soro Guillaume », souligne Serge Dallet, chroniqueur et co-fondateur du Web média Le Débat du Jeudi.

Et les vieux démons aussi s’en mêlent

Celui qui incarnait la candidature de la jeunesse pour ses partisans, traîne donc ses vieux démons qui lui arrachent la couronne du « porte flambeau » de l’opposition. Hormis cela, d’autres figures emblématiques mériteraient mieux ce titre de leader. Hervé Tiecoura à instinctivement au bout de ses lèvres, des noms comme Gbagbo et Bédié. « Monsieur Soro comme ce porte flambeau ? Ah non. Pas du tout. Nous avons le Président Gbagbo qui, malgré son absence, mobilise encore. Nous avons le président Konan Bédié qui est là avec son parti septuagénaire, le PDCI. Je pense que c’est autour de ces 2 grands leaders que nous tous, nous devons nous mobiliser », prévient-il.

Cet appel de Soro à l’union de toute l’opposition est perçu comme l’acte 2 dans sa quête de résilience. Mais la stratégie ouvre tout de même la brèche à un paradoxe. Et tout en verve, Hervé Tiecoura n’hésite pas aujourd’hui à le mettre sur le terrain politique. « Monsieur Soro se lance dans ce combat quand-même paradoxal. Venant de quelqu’un qui a été en tête d’une rébellion en faveur de Monsieur Ouattara, c’est paradoxal. Comme d’autres qui avaient travaillé avec Ouattara, il s’est rendu compte qu’il s’était trompé de combat », a-t-il conclu.

A environ 6 semaines du duel présidentiel, la classe politique tente de s’unir contre la candidature du président sortant. Une candidature pourtant validée par le conseil constitutionnelle. Et comme Guillaume Soro, d’autres à l’image de Laurent Gbagbo ou Mamadou Koulibaly font toujours partie de l’escouade des 40 candidatures rejetées sur les 44 présentées.

Partagez

Commentaires

Ticoh
Répondre

Tres belle analyse tant dans le fond que dans la forme ..exposant ainsi la complexite de la vie socio-politique ivoirienne.il releve aussi la faublesse de nos institutions tant nationnales que panafricaines .cependant nous esperons vivement que toute la classe politique ivoirienne, à commencer par les decideurs ,mettra l'interet superieur de la nation ivoirienne au dessus de tout ! Encore bravo james !!!

OmonJames
Répondre

Merci pour le temps consacré à la lecture.