L’Ethiopie et la Libye, les deux cauchemars de l’Egypte

Article : L’Ethiopie et la Libye, les deux cauchemars de l’Egypte
Crédit: google
9 février 2021

L’Ethiopie et la Libye, les deux cauchemars de l’Egypte

Le barrage de la renaissance sur le Nil bleu en Ethiopie et la poudrière libyenne, font courir le gouvernement Sissi. Ces deux sujets brûlants inquiètent également le peuple égyptien. Du Caire aux confins du désert frontalier avec la Libye, les populations sont très sensibles à ce vent bicéphale au parfum de crise sociopolitique, qui les menace.


Les dessous des bras de fer qui opposent, l’Egypte à l’Ethiopie d’une part, et d’autre part à son voisin libyen, n’intéressent pas le citoyen lambda. Ce sont plutôt les conséquences à long terme qui aiguisent la curiosité des uns et des autres. Agriculteurs, pêcheurs, transporteurs se posent de plus en plus des questions superstitieuses sur l’avenir de leur secteur d’activité respectif.

D’un côté, on n’arrête pas de se demander comment gérer l’or bleu au temps du barrage éthiopien sur le Nil. Et de l’autre, c’est l’impact sur les ressources halieutiques qui taraude. Pour un pêcheur comme Khaoui, son activité va sans doute porter des balafres de ce projet éthiopien. « Selon les experts, le Nil va prendre un grand coup avec ce barrage en Ethiopie. Et si le Nil prend un coup, notre pêche ne sera pas épargnée. N’est-ce pas la fin et la mort de notre pêche ?« , se demande-t-il.

Visiblement, l’avenir du Nil trouble la quiétude de cet Egyptien. Mais loin de la capitale, chez les habitants de Siwa, la priorité est autre. Ici, à 560 km du Caire, on se focalise déjà sur les dommages collatéraux que pourraient entraîner une intervention militaire en Lybie. « Si notre armée intervient en Libye, nous serons les premiers à subir les conséquences« , décrit Yassir. Ce vieil agriculteur ne réfute pas la peur de son compatriote pêcheur. Mais pour lui, « sans la sécurité, l’Egypte ne pourrait pas vivre du Nil« .

Protéger le pays de l’intérieur serait mieux

« L’Egypte ne restera pas inerte face à une menace directe sur sa sécurité nationale et celle de la Libye« . Cette déclaration du président Al-Sissi est loin d’être vaine. Après l’avoir prononcée le 16 juillet 2020 lors de sa rencontre avec des représentants des tributs de l’Est libyen, il n’a pas tardé à la concrétiser. Le coup d’éclat viendra le 20 juillet, jour où les députés égyptiens ont donné le feu vert pour une intervention militaire en Libye. L’armée égyptienne s’affaire depuis pour cette nouvelle mission. Elle n’attendait que les forces du Gouvernement d’union Nationale (GNA), reconnu par les Nation Unies, franchissent la ville de Syrte, fief du Maréchal Khalifa Haftar. C’est d’ailleurs la seule condition imposée par le parlement égyptien.

L’approbation du parlement ne donne pas forcément un bon aloi à cette stratégie militaire. Dans l’oasis de Siwa, bien que la question sécuritaire soit prioritaire,  beaucoup préfèrent de loin, une protection de l’intérieur. « Pourquoi ne pas plutôt renforcer la sécurité à toutes nos frontières avec la Libye, au lieu d’aller les provoquer sur leur territoire ?« , suggère Yassir. Sa défiance est très contagieuse et se répand au sein de presque toutes les coopératives agricoles de la région. Loin des champs, et pendant de petites réunions, la question s’incruste toujours dans les débats. Et à défaut de requête à l’endroit du gouvernement, on se remet désespérément au divin. « Cette séance de prière, c’est pour demander la grâce et la protection pour nos terres. On implore Allah, afin que cette intervention de notre armée en Libye n’arrive jamais« , précise Akil.

Ce membre actif de l’un des plus grands regroupements d’agriculteurs de Siwa est aussi transporteur. Et ses expériences des routes du désert lui permettent déjà d’augurer les grands dangers qui pourraient succéder la présence militaire de son pays en Libye. « Moi je fais le transport à travers le désert vers la Libye, et déjà ce n’est pas du tout sécurisé. Donc je vous jure que ça va être pire si on donne des raisons aux rebelles des se pointer sur notre territoire« , a-t-il clarifié. Il va même plus loin : « Notre président devrait vraiment revoir cette envie d’intervenir et penser à une autre façon de nous protéger« .

Avec ses 33.000 habitants, Siwa n’est qu’une petite portion des 1115 km de frontières terrestres que partage l’Egypte avec son voisin de l’ouest. Mais si ici, on se préoccupe plus des conséquences de la crise libyenne, c’est à cause de l’état poreuse du désert à proximité. Toutefois, ailleurs comme à Marsa Matruh, une sérénité se développe malgré le rapprochement avec les zones désertiques. Dans cette petite ville au bord de la mer méditerranée, on considère le cessez-le-feu d’octobre 2020, comme la garantie de quiétude. « Le conflit libyen est en pause depuis. La Libye a son nouveau premier ministre. Donc nous on a plus rien à craindre ici. Notre armée restera ici pour protéger nos frontières. On peut oublier la Libye et s’occuper de nos problèmes« , insinue Salim, un patriarche de Marsa Matruh.

Comme l’affirme Salim, la crise libyenne est loin d’être le seul gros problème du peuple égyptien. Dans le placard des soucis, repose bien le dossier du barrage éthiopien.

Le barrage de la renaissance est une punition

En Egypte, le barrage de la renaissance, œuvre gigantesque de l’Ethiopie, est très populaire. C’est peut-être le chantier non-égyptien, le plus connu du moment. Du Caire à Assouan, il suscite d’ailleurs le même cri d’angoisse : « que subira notre Nil ?« . Près de la première cataracte du Nil, à plus de 800 km de la capitale, cette angoisse rappelle des perturbations écologiques. Celles engendrées par le haut barrage d’Assouan lui-même.

« Le barrage d’Assouan nous a déjà volé une grande partie du Nil et cela a été très dur« , se remémore Shakir. Ici, il n’y a pas que les pêcheurs comme lui, qui craignent les menaces du barrage de la renaissance. Même dans un modeste costume de guide touristique, Walid trouve facilement les mots pour se déguiser en écologiste. Très succinct, il prévient : « ce que je peux vous dire, c’est l’écologie du Nil qui va être bouleversée. Mon père est un témoin des conséquences du barrage d’Assouan et ça va se reproduire en pire ». Il prend même pour preuve, les vestiges de certains sédiments, avant de nous conduire vers des agriculteurs.

Pour Walid, « mieux qu’un environnementaliste, les cultivateurs sont le miroir du Nil de demain« . Effectivement, la punition du barrage de la renaissance se lit aussi bien dans leurs propos que dans leurs regards. Certains comme Moustakbal, qui hier, avait abandonné des terres à cause du barrage d’Assouan, se pose des questions : « cette fois-ci, qu’allons-nous subir ? La sécheresse ou l’inondation de nos terres ?  En réalité quelles seront les conséquences pour notre agriculture ?« .

Cette série de questions, rendrait-elle le Nil plus pertinent que la menace sécuritaire à l’ouest du pays ? Loin d’une comparaison, les deux sujets forment une paire d’épines dans les talons de l’Egypte actuelle. Et comme le confirme Khaoui : « Ethiopie ou Libye, c’est deux situations, qui aujourd’hui, touchent le cœur de notre société« .

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