Présidentielle en Guinée : le vote annulé en Egypte crée la désillusion

Article : Présidentielle en Guinée : le vote annulé en Egypte crée la désillusion
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19 octobre 2020

Présidentielle en Guinée : le vote annulé en Egypte crée la désillusion

La Guinée d’Alpha Condé a voté ce 18 octobre pour élire le nouveau président des six prochaines années. Pendant qu’à Conakry, les bureaux de votes sont pris d’assaut, un autre combat se menait en Egypte pour certains Guinéens. Loin de leur pays, ils ont nourrit jusqu’à la dernière minute, la volonté de participer à ce scrutin historique.


Environ 4 000 Guinéens vivent en terre égyptienne, mais seulement 1770 devaient voter pour élire leur prochain président. A 4637 km de Conakry, le match n’est pas du tout facile à jouer. Des questions déterminantes sont évoquées depuis plus d’un mois avant le jour J. On a pris l’habitude des phrases dilemmatiques comme : « est-ce que je voterai Cellou Dalein Diallo, lui qui a trahit l’opposition ? » ou encore « et si je faisais un bulletin nul ? ».

A ces deux questions, vient s’ajouter une autre : « et si on votait tous pour battre Alpha Condé ? ». Cette dernière a rapidement gagné les esprits. Et ce, grâce à la mobilisation de la branche égyptienne du Front National de Défense de la Constitution (FNDC). Le mouvement FNDC existe bel et bien en Egypte. Il est organisé et « il continue son combat », martèle Abdallah Sow, son coordonnateur fédéral au Caire.

Mais personne n’aura la chance de mettre en jeu sa carte d’électeur reçue à la sueur du front. Car l’élection n’aura tout simplement pas lieu. Et pour les votants, c’est toute une chance de marquer d’un poids décisif, ce moment particulier, qui est annihilée.

La désillusion des votants, pourtant prêts

A l’aube de ce 18 octobre 2020, jour de vote, l’ambassade de la Guinée en Egypte, est vide. On y croise que des fonctionnaires esquivant pour la plupart les questions de journalistes. A l’accueil, les voix balbutient et tentent de dissuader à défaut de pouvoir convaincre.

Les votants, eux, ne se sont même pas donnés de peine. Ils sont restés chez eux, même si leurs noms sont affichés le long des murs dans l’enceinte de l’ambassade. Le scrutin est annulé et la nouvelle a fulminé tôt. « Depuis plusieurs jours, on a donné l’information qu’il n’y aura pas de vote ici en Egypte. Les gens sont bel et bien informés », nous explique Kandé Daouda, l’agent administratif en charge de la communication ce jour là.

Pourtant, vers 11h, on peut lire le désarroi sur le visage des rares Guinéens venus remplir leur devoir civique. « Comment ça, il n’y a pas élection ? on ne m’avait pas informé de cette décision. Et j’ai pris une autorisation spécialement au boulot pour ce vote », s’étonne Ali [nom changé].

Comme, ce Guinéen de 41 ans, d’autres sont pris au même piège. Cartes d’électeurs en main, ils se sont faufilés dans les locaux, à la recherche des raisons de cette grosse surprise. Tel un marathonien qui a manqué le départ d’une course, Fatigua n’a pas pu rattraper la juste information. Après près de 25 min de va-et-vient, cet étudiant de 23 ans sort d’un des bureaux de l’ambassade, désolé : « on m’a juste dit que ça n’aura pas lieu. Et rien d’autre ».

Faute de matériel, pas d’élection

Ici à l’Ambassade de Guinée en Egypte, en effet principal bureau de vote ; l’information est bien protégée. En tout cas, des fonctionnaires savent astucieusement jouer les derniers remparts autour de la boîte à information de Soriba Camara, l’Ambassadeur.

Arrivé dans le hall de l’ambassade à 11 h et 12 min, la première autorité des lieux, semble ne pas être stressée par la situation. D’un air jovial et dans l’humilité totale, il adresse ses salutations et scrute la presse du jour, avant de reprendre la direction de son bureau. Pour son entourage, sa journée sera chargée et pourrait l’empêcher de nous répondre. « Le calendrier de l’Ambassadeur est chargé. Il a plein d’autres rendez-vous. Et vu que c’est un jour d’élection, il doit aussi suivre les événements à distance », prétexte d’un ton dubitatif, Camara Djamal, secrétaire par intérim de l’ambassade.

Pendant ce temps, des voix s’expriment librement du côté de la Commission électorale d’ambassade indépendante (CEAMI). Installée pour jouer le rôle de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), la CEAMI est l’un des témoins oculaires de la déroute du jour. Et ici, personne ne fuit ses responsabilités. Et mieux, quand on représente un parti de l’opposition, on n’hésite pas à se confier. « On n’a pas reçu les bulletins de vote ainsi que les fiches de procès verbaux. Donc sans le matériel au complet, pas de vote », récapitule Abdallah Sow, le rapporteur de la CEAMI.

En fait, personne ne pouvait soupçonner cette brusque annulation du scrutin. Le 4 octobre 2020, tous avaient le signe de la certitude. « Ce jour là, on a reçu une partie du matériel et aussi les 1770 cartes d’électeurs. Jusque là, la CENI nous a rassuré de la tenue de l’élection ici en Egypte », étaye Alassane Camara, un des six membres de la CEAMI.

Même jusqu’ à 17 h 33 min, le bureau de vote attirait encore certains votants. Ils avaient toujours l’unique espoir de se servir de cette précieuse carte. B. S [pseudonyme], fait partie de cette catégorie. Lui qui, finalement accompagnera de son soupir, une désillusion sans pareille : « c’est une occasion de changer les choses qui vient d’être gâchée ».

L’avenir du pays pouvait se jouer aussi en Egypte comme ailleurs

L’annulation du scrutin en Egypte a suscité de vives réactions même si la peur des représailles a étouffé les colères. Et pour ces quelques aspirants au vote rencontrés ce jour, on avait à faire à un scénario de déstabilisation de l’opposition.

Quand une phrase revient à B. S, c’est pour réfuter les raisons officielles de la CEAMI : « c’est du pipo, tout ça. Pourquoi attendre la veille pour annuler le vote ici. Ils savent que nous, on allait fortement les battre dans les urnes ».

B. S ira plus loin en illustrant ses arguments par l’annulation de l’élection présidentielle dans d’autres pays d’Afrique. Très renfrogné, il poursuit : « pourquoi ont-ils annulé au Sénégal et en Angola et autres ? C’est pour empêcher la diaspora de leur foutre la honte. On était plus que prêt», 

Tard à 19h, à la sortie d’une longue réunion à l’ambassade, Abdallah Sow, jette son manteau de rapporteur de la CEAMI et reprend celui du fervent opposant. L’homme aura beaucoup porté sur ses petites épaules. Coordonnateur fédéral du FNDC ; secrétaire fédéral du l’Union Forces Démocratiques de Guinée (UFDG/Egypte) et porte parole du conseil des Guinéens d’Egypte, il a sacrifié ses journées et ses nuits pour cette élection. Sa réputation lui a permis de mobiliser la communauté contre ses adversaires du Rassemblement peuple de Guinée (RPG), le parti au pouvoir.

Cet engagement n’était pas vain et le jeune militant rassure que : « J’ai fait du porte à porte, j’ai fait une campagne publique. La preuve, c’est notre dernier meeting à la veille de l’élection. On était parti pour peser sérieusement dans le résultat final. La diaspora aujourd’hui a cette force de changer les choses. En tout cas ici en Egypte, on était très sûr de battre le RPG d’Alpha Condé ».

Assoiffé d’alternance politique, il reste l’un des plus grands déçus de la sanction du vote en Egypte. « Mais comment on peut comprendre qu’on nous envoie tout le matériel exceptés les PV et les bulletins de vote ? Moi, je suis rapporteur de la CEAMI. Et je me rappelle qu’on a relancé mainte fois la CENI » , rappelle-t-il. A cela, il n’oublie pas d’ajouter : « on dirait que c’est fait exprès et il va falloir peut-être porter plainte contre l’instance habilitée à organiser cette élection ».

Toutefois, Sow remplace vite le regret de ce vote manqué, par l’espoir de voir son candidat, Cellou Dalein Diallo en tête. Il a déjà tourné la page de ce fiasco. Le futur le hante désormais. Un futur qui se jouera autour des résultats définitifs de Conakry.

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Commentaires

Ken
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Au delà de tout les efforts entrepris par la CENI en Égypte n'etais que L'ANNULATION DU VOTE tel etait le but pour ce scrutin