Macron-Al Sissi : le duo franco-égyptien qui fait jaser

Article : Macron-Al Sissi : le duo franco-égyptien qui fait jaser
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21 décembre 2020

Macron-Al Sissi : le duo franco-égyptien qui fait jaser

Le déplacement du président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi en France, n’a pas fini de faire parler. Des voix peu laudatives s’élèvent depuis cette visite du 7 décembre 2020. Elle valait sans doute son pesant d’or pour Emmanuel Macron, en matière de lutte contre le terrorisme. Mais ici en Egypte, c’est la crédibilité de la France, qui a pris un grand coup.


Le président Macron et son homologue Egyptien, Abdel Fattah al-Sissi

Beaucoup d’Egyptiens ont du mal à comprendre cet accueil en grande pompe du président Al-Sissi en France. En première ligne, des associations et ONG de droits de l’Homme. « Comment le président Macron peut-il accepter de recevoir Al-Sissi en cette période où les droits de milliers d’Egyptiens sont violés ? », se demande dans l’anonymat un défenseur des droits de l’Homme.

Régulièrement intimidé par le régime Sissi, ce chevalier des droits personnels se réjouit d’être encore en liberté jusqu’ici. « Pour le moment, j’ai la chance d’être encore là, à défier ce gouvernement despotique », se glorifie-t-il avant de dévoiler son regret. «C’est l’acte posé par Macron qui va peut-être accélérer notre chute. On comptait vraiment sur la France pour rabrouer Sissi et tous ses apprentis sorciers. Mais là, Macron n’est plus un soutien pour notre combat ».

La France, un soutien qui s’éloigne

Le tapis rouge déroulé sous les souliers du président égyptien à Paris, n’a pas que blessé. Tel un sabre, il a rouvert chez certains, des plaies, qui à peine cicatrisaient. I.H [pseudo] en témoigne : « Ceci vient me rappeler qu’on a rien fait depuis tout ce temps. C’est très mauvais pour ces gens qui souffrent en prison et pour ceux qui en sont sortis avec des séquelles ».

Pour ce militant très proche de l’ONG EIPR (Initiative Egyptienne pour les droits personnels), ces derniers mots valent un hommage à trois de ses amis, libérés le 03 décembre dernier. S’il admet l’implication de la France dans ce processus de libération, il ne cache pas pour autant sa désolation. « Jean-Yves Le Drian est passé ici au Caire et a mis la pression pour qu’enfin ces trois membres de l’ONG EIPR soient libres. Donc pour la France c’est tout ? Et tous ceux qui sont toujours incarcérés injustement ? Ceux là ne sont-ils pas humains ?», s’étonne-t-il.

Ne plus compter sur la France ?

A travers ces questions successives, I.H traduit les inquiétudes de beaucoup d’autres. Surtout ceux, qui désormais ont peur de s’exprimer sur le sujet. Même sous couverts d’anonymat, il est très difficile pour des citoyens lambdas de lâcher, ne serait-ce qu’une petite phrase. Visiblement, I.H ne craint pas d’être le bouc-émissaire de toute cette catégorie de personnes. La seule possibilité de rester derrière son pseudonyme, est un rempart suffisant. Ce qui  lui permet largement de déclarer sans se soucier des représailles : « Un pays où des gens ont peur de parler de leurs droits. C’est une grande régression de ne pas pouvoir parler de soi. Et cela fait du président l’un des pires aux yeux du peuple ».

Mais le plus inquiétant, c’est la velléité qui s’enracine dans le camp des militants pour les droits de l’Homme. Et tout comme I.H, Farid, indexe sans circonlocutions la France. Pour ce journaliste-blogueur, « il va falloir ne plus compter sur la France, un pays d’hypocrites qui chante les droits de l’Homme mais, qui donne les moyens à un autocrate de brimer son peuple. Pour les droits de l’Homme, les institutions spécialisées doivent chercher le soutien auprès des USA et ailleurs. La France au temps de Macron ne peut rien pour nous ».

La France réconforte désormais Al-Sissi

La diplomatie française a certes favorisé la libération de trois membres de l’ONG EIPR mais aux yeux des Egyptiens, cela n’a rien d’honorable. Les rares à l’image de Farid, qui s’expriment encore sans craindre la riposte, le rappellent d’ailleurs. Pour lui, « libérer trois personnes sur plus de 60 000 ne suffit pas à faire de Sissi un héro en France».

Dans ses propos, Farid n’a pu s’empêcher d’évoquer la légion d’honneur décernée au président égyptien. « C’est inconcevable », rappelle-t-il avant de renchérir : « Une légion d’honneur c’est pour quoi, si ce n’est le réconforter dans sa position d’oppresseur ?».

Au-delà des frontières égyptiennes, cette nomination du président Al-Sissi dans l’ordre de la légion d’honneur, n’a pas plu. Bien avant Corrado Augias, le journaliste italien qui a décidé de rendre sa Légion d’honneur ; Bénédicte Jeannerod, responsable de Human Rights Watch pour la France, avait déjà flagellé l’Elysée. Invitée sur le plateau de France 24, le 17 janvier 2019, elle n’a pas hésité à rappeler qu’Emmanuel Macron « n’est pas à la hauteur de ses promesses », parlant des droits de l’Homme.

Des actes impromptus comme celui de Corrado Augias seraient des atouts selon Farid. Lui, qui a son site et son blog suspendus depuis bientôt un an, ne compte plus que sur l’engagement des Egyptiens de l’extérieur. « Ici on est tous désarmé dans cette lutte pour les droits humains. Et en plus de ça, notre président va trouver du soutien auprès de l’Etat français. Il faut maintenant que les Egyptiens au Canada, aux Etats Unis et un peu partout s’engagent à 100% », a-t-il souhaité.

Des non-Egyptiens s’expriment aussi

Des Libyens et des Turcs vivant en Egypte, font une autre analyse du sujet. Même si certains restent timorés et craignent pour leur statut de refugiés, d’autres prennent le risque de placer un mot sur le couple Macron-Sissi.

Pour les Libyens, le Président égyptien représenterait le moyen habile et détourné pour imposer le verdict de la France à Tripoli. C’est du moins, ce que tente d’expliquer M.B [pseudo] : « Sissi mérite sa Légion d’honneur puisqu’il est l’un des pions du jeu d’échec que joue la France chez moi, en Libye ». Très rétrospectif, ce Libyen de 36 ans ira même plus loin en comparant le duo Macron-Sissi à celui Sarkozy-Kadhafi. « C’est la même chose que nous Libyens avions vécu. On souffrait de l’oppression quand Sarkozy a eu l’audace de recevoir solennellement le colonel Kadhafi », se remémore-t-il.

La communauté turque aussi tente de s’approprier la situation. Ici, si on ne peut parler d’une forme de répétition de l’histoire, on se penche sur le bras de fer Macron-Erdogan. Dans le strict anonymat, plusieurs membres de cette communauté ont instinctivement fait le lien avec Ankara. L’un des avis les plus explicites viendra d’un opérateur économique. Derrière ses initiaux « R.Y », celui-ci va préciser : « Pour faire mal à Erdogan, la France doit forcement chouchouter Al-Sissi. Même s’il faut mettre mal à l’aise les droits de l’Homme, Macron soutiendra le gouvernement égyptien. En tout cas pour embêter Erdogan, il fera tout ».

Toutefois, ces subterfuges tiennent lieu d’une petite portion de la partie invisible de l’iceberg. Que la Turquie, ou la Libye soient dans le jeu, cela ne répond pas aux inquiétudes de l’opinion publique égyptienne. Elle, qui tente toujours de comprendre la complaisance de la France.

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